100911 - DA SILVA @ FESTIVAL LA POULE DES CHAMPS - AUBERIVE (51)



A la question casse gueule « Qu’est ce que le style ? » Manu Da Silva répond à sa manière : « Donnez moi une guitare et une chanson, n’importe laquelle, une reprise de Gainsbourg, une cover des Rolling Stones, ça sonnera toujours comme du Da Silva. Je n’y peux rien. C’est comme ça. J’ai jamais su faire autrement. » Mais pourquoi au juste Manu devrait-il s’excuser? Car alors que certains passent leurs vies à se chercher un style, lui est né avec et quoi qu’il fasse, il y imprime sa marque. La preuve : sur son 3ème album La Tendresse des Fous, il nous poinçonne l’âme et nous tatoue le cœur.

Du style « Da Silva » on dit souvent qu’il est minimaliste, intimiste, mélancolique. Cette voix qui vous chuchote à l’oreille son spleen entêtant et feutré, ces guitares qui brodent leurs mélodies tendres et mutines, on les reconnaît entre toutes pour les croiser très souvent sur la bande F.M. L’indécision et De là-haut y passent et repassent comme le furet. Intimistes les chansons de Da Silva le sont, mais vouées par ailleurs à caresser la sensibilité d’un large public, à séduire en grand format. Avec 110 000 exemplaires écoulés, Décembre en Eté fut l’un des albums révélation de l’année 2005 avec la mention disque d’or. Quant au second, De Beaux Jours A Venir (70 000 exemplaires) il sera deux ans plus tard une vraie confirmation compte tenu de l’affaissement du marché du disque physique.
Avec De Beaux Jours A Venir, Manu reconduisait une méthode déjà éprouvée sur Décembre en Eté. Elle consistait à enregistrer les maquettes de ses nouvelles compositions chez lui, dans son salon. De ce premier jet, il conservait la voix et la guitare, trahissant l’une et l’autre la spontanéité d’un émoi. Puis il ajoutait en studio quelques instruments, une basse, une percussion, un violon parfois, veillant à préserver la fragilité de ces chansons fraîchement écloses dans son jardin secret. Renaud Letang se chargeait ensuite de les mixer. Cette manière de procéder révélait un sentiment dans la vérité du moment qui l’avait vu naître, favorisant d’autant mieux son partage. Avec le succès que l’on sait.
Pour La Tendresse des Fous, son 3ème album sur le label Tôt ou Tard, Manu a tout remis en question. « Je savais que si je ne bousculais pas certaines habitudes j’allais finir par me caricaturer. » Souhaitant « sortir du cocon », comme il dit, il le mettra en chantier fin 2008 dans un studios Rennais, Le Passage à Niveau, et lui donnera sa forme définitive au Labomatic, à Paris, avec le concours de Bénédicte Schmitt et Dominique Blanc Francart. « Me retrouver pour la première fois dans un grand studio avec des techniciens, des musiciens, un réalisateur et arrangeur, m’exposait à un regard extérieur, m’obligeait à des remises en cause. C’est précisément ce que je recherchais : me mettre en danger. » Car, à l’inverse de beaucoup, le vrai danger pour Manu Da Silva, ancien membre des punks de Mad Coakroaches et des bruitistes de Punishment Park, ce n’est pas d’aller au combat nez au vent et guitare à la main -ça il connaît depuis toujours- mais de travailler dans un confort technologique inhabituel pour lui, entouré de musiciens à pedigree. Ainsi l’accompagneront dans cette nouvelle aventure le bassiste Laurent Vernerey et le batteur Denis Benarosh dont les états de services, de Francis Cabrel à Alain Souchon, de Miossec à Vincent Delerm, sont suffisamment éloquents. « Se retrouver avec des pointures, moi qui suis un musicien sans grade, fut un vrai défi. » Autre innovation, la présence d’un arrangeur en la personne de Joseph Racaille. Personnage aux ressources musicales inépuisables, ce dernier fait rayonner depuis une trentaine d’années son esprit curieux et inventif sur un large district de la chanson et du rock français. Il a contribué notamment à différents albums d’Alain Bashung, d’Arthur H et de Dick Annegarn. « A partir de mes musiques, Joseph a conçu des orchestrations à l’aide d’instruments à cordes et à vent, comme le cor anglet ou l’euphonium. Cela créait un nouvel espace que je pouvais ensuite me réapproprier.» Cette approche va conduire à la production d’un son certes plus velours que cuir, mais sur lequel les chansons de Manu ne paressent à aucun moment, semblent au contraire se dresser, animées de plus de véhémence et d’envie que jamais.
Car, plus rigoureux dans son exécution et plus haut de gamme dans sa définition, La Tendresse des Fous n’en reste pas moins un recueil de chansons où la personnalité de Manu Da Silva s’exprime avec une rare profondeur. On y accompagne le chanteur dans une errance implacable et sous un ciel menaçant, embarqué dans un road movie musical où, avec les paysages, défilent les pensées. Ce besoin d’avoir à fuir coûte que coûte nous saisit dès La Route pour ne plus nous quitter. Dans Les Plaines, Manu constate :« J’ai traversé les plaines, j’ai croisé tant de monde. J’ai retourné tant de terre, je n’ai rien trouvé au fond. » Lui qui a enchaîné quelque 300 dates lors de ses deux dernières tournées, évoque ici cette soif inassouvie du musicien pour qui, hors le mouvement, point de salut. D’ailleurs lorsqu’il fait mine de s’arrêter quelque part, d’y élire domicile, La Chambre par exemple, tout s’écroule. Cette quête insensée l’amène à traverser ce disque comme on traverse un pays, imaginant toujours, comme dans Un Endroit, ce qu’il pourrait y avoir derrière l’horizon. Pour seul bagage, outre sa guitare, il trimballe ce qu’il appelle l’ « absence », cette forme de solitude déboussolée qui revient le hanter dans chacun des titres et dont il finira par accepter…la présence dans Inséparables. La Moisson lui donne en revanche l’occasion de s’arrêter sur un récent fait-divers concernant cette jeune chinoise qui en se défénestrant a préféré la mort à l’expulsion. Prêt à assumer le malheur du monde, Manu est aussi prompt à y révéler les moments qu’on parvient à lui voler pour cultiver en soi cette Tendresse des Fous sans laquelle rien ne serait possible. « Je me suis jeté dans la parade au milieu des cuivres et des tambours. D’ici au moins j’étais sûr que l’on n’entendrait pas ma peine » lance t’il au début de Le Carnaval, écho à un mal de vivre qu’il affronte avec cette générosité et ce panache endiablé commun aux bluesmen et aux fadistes (chanteurs de fado). Ainsi de l’écoute des 11 titres de La Tendresse des Fous se dégage ce même sentiment poignant: quitte à ce que le bonheur nous soit refusé, reste la possibilité de célébrer les meilleurs instants de l’existence en musique. Le tout, évidemment, étant de le faire avec style.

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