130605 - COUP DE GUEULE : COMMENT UN COLLEGUE N'A PAS PU PHOTOGRAPHIER LORS DU CONCERT DE RIHANNA A LYON



ArtEos n'a pas eu la chance ou la malchance, comme vous allez pouvoir vous en rendre compte dans l'article qui suit, d’être accredité sur le concert de Rihanna à Lyon. 
Ce genre de situation extrême ne s'est encore jamais produit au sein d'ArtEos mais il nous est déjà arrivé de tomber sur des conditions de prises de vues ridicules voir dramatiques presque semblables.
Cela démontre bien, malheureusement, les difficultés grandissante que les photographes de spectacles vivants rencontrent de plus en plus souvent et les contraintes auxquelles nous faisons face lors de concerts !


Voici le récit épique de notre confrère Lyonnais, Gilles Soen-Wer :

Photographe professionnel depuis sept ans, spécialisé dans les photos de spectacles, je m’en vais, ce lundi 3 juin, à la Halle Tony Garnier de Lyon pour le dernier show de Rihanna, « Diamond World Tour ». En espérant que la chanteuse ne se pointe pas avec deux heures de retard comme la veille à Montpellier.
On m’a validé mon accréditation le jour même à 15h32. Comme trop souvent, il faut être à l’affût et à la disposition de ceux qui décideront si oui ou non nous aurons l’honneur de pouvoir travailler ce soir. Impossible pour le photographe de concert de prévoir quoi que ce soit les soirs de spectacle !
Dans le mail on me donne rendez-vous à 20 heures très précises pour obtenir le fameux pass photo. Pas d’autres consignes que la fameuse règle : « les trois premiers morceaux sans flash ». La routine, quoi.
Arrivé à l’heure dite, on me demande de patienter à l’extérieur avec les collègues (nous sommes huit au total) : quelqu’un va venir nous chercher. Nous escorter en fait. Car après avoir attendu 1h30 dans le froid d’un début de soirée de juin 2013 que tout le monde entre dans la salle, que les vigiles enlèvent les barrières, que la voirie commence à nettoyer les déchets et que les deux premières parties se finissent, nous sommes enfin autorisés à entrer dans la Halle, quasiment entourés d’un agent de sécurité par photographe.


Les milliers de têtes et de mains anonymes qui nous séparent de la star
La dame du tourneur français qui doit nous remettre notre pass (que nous devrons rendre avant de partir) et qui doit nous ouvrir la voie, s’excuse pour le retard et semble aussi s’excuser d’avance pour ce qui va se passer. On a l’impression a posteriori qu’on l’a un peu envoyée au casse pipe.
Nous sommes les derniers à entrer. Nous avançons doucement à l’intérieur de la salle bondée, toujours escortés, en suivant un agent de sécurité. Bizarrement nous commençons à fendre la foule, tel Johnny au Parc des Princes 93. Ça commence à sentir mauvais. Nous arrivons au niveau de la console son au milieu de la salle et du public, peut être à 100m de la scène, compressés par la foule.
On nous annonce alors que c’est d’ici que nous ferons les photos. Nous n’avons pas le droit au devant de scène. On passe du sourire nerveux à l’étonnement, jusqu’à l’envie de pleurer.
Nous sommes en rang d’oignon, tellement serrés par le public que même sortir son appareil de son sac est très difficile, avec une vue imprenable sur les milliers de têtes et de mains anonymes qui nous séparent de la star.

Pour bosser, « prêts à accepter n’importe quelles conditions »
Impossible de réaliser une photo vendable d’ici. N’oublions pas que nous sommes quand même là pour vendre quelque chose au final, pas pour apprécier le show. Nous quémandons au moins de pouvoir nous réfugier à l’abri à l’intérieur de la console. Notre escorte appelle la personne qui visiblement est responsable de tout ce schmilblick, la réponse est négative.
Je suis à ce moment là, finalement, moyennement étonné par la situation. Au fil du temps et des concerts, nous devenons de plus en plus blasés et sommes presque prêts à accepter n’importe quelles conditions.
Nous négocions alors de pouvoir aller sur le côté jardin de la scène. Emplacement vraiment pas terrible vu la taille de la scène et le monde (17.000 personnes tout de même), mais autrement plus jouable que l’endroit où nous nous trouvons, qui est probablement le pire d’où faire des photos ce soir (après les chiottes).
Nous attendons, parlementons, et finalement faisons marche arrière, pour nous retrouver à l’extérieur de la fosse. Les lumières s’éteignent, le concert commence. Encore un appel de la part de notre escorte pour avoir l’autorisation de se placer sur le coté jardin de la scène, a priori, c’est finalement possible… Nous suivons la sécurité qui s’arrête finalement brutalement, à l’extérieur du public, mais encore loin de la scène. Nous devrons faire les photos d’ici.
Une fois de plus, on ne peut pas être plus mal placés.

Je ne fais aucune photo, la soirée est foutue
Je sors mon appareil, mais ne fais aucune photo. Cela ne sert à rien. Les autres n’en font quasiment pas non plus. Nous continuons de nous plaindre, les « responsables » présents à nos côtés (une stagiaire du tourneur français, des vigiles et des personnes reliées à la prod par une oreillette) essayent de recevoir des consignes par téléphone. Ils n’en savent pas plus que nous.
Le photographe de la presse régionale perd de plus en plus son calme en réalisant qu’il n’aura probablement aucune image de potable pour les lecteurs du journal du lendemain. Il est finalement ceinturé et invité à quitter les lieux.
On nous dit alors qu’il faut finalement retourner faire les photos au premier emplacement prévu, soit à côté de la console, au milieu de la foule… Il reste un seul des « trois premiers morceaux sans flash ». C’est à prendre ou à laisser. Je leur dis alors que je m’en vais.




Je fais juste une photo au téléobjectif, pour le souvenir et pour témoigner de l’absurdité de la situation avant de sortir. J’arrive chez moi à 22h30, mes enfants sont couchés depuis longtemps, je suis énervé, la soirée est foutue. Pour rien.
Je ne comprends pas pourquoi on accrédite des photographes pour finalement les faire travailler dans des conditions impossibles. Il serait préférable de nous dire que ce n’est pas possible dès le début.
Les photographes freelance sont rarement accrédités sur les concerts d’artistes français (problèmes d’exclusivité probablement) alors que les productions anglaises et américaines accréditent plus facilement, mais dans des conditions parfois improbables. Ils nous font entrer pour mieux nous enfermer à l’intérieur.

La vente de ces photos, c’est notre gagne-pain
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’avant tout nous sommes là pour travailler ; la vente de ces photos, c’est ce qui nous fait vivre. Les photographes sont de moins en moins respectés dans ce milieu. Le photographe PQR (Presse Quotidienne Régionale) témoignait avant de se faire sortir, qu’en vingt ans de photos de concerts, il n’avait jamais vu ça.
Finalement celui qui est puni c’est le public, qui n’aura pas le droit de garder un souvenir dans son journal du lendemain et devra attendre la sortie d’un dvd-livre-photo officiel hors de prix (je ne prends pas en compte les photos floues prises au téléphone portable, je parle de photos de bonne qualité prises par des professionnels).
Aujourd’hui, je suis blasé, je ne suis pas curieux de voir comment la prochaine fois ce pourrait être encore pire que ce concert de Rihanna.

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